Le Qhapaq Ñan, signifiant Chemin Royal en Quechua (également appelé Trails de l’Inca) est un réseau d’itinéraires datant de l’Empire Inca (Tawantinsuyu) au maximum de son expansion à la fin du XVème siècle, juste avant l’invasion espagnole en 1533 – 1536. Ce réseau, qui cumule en tout plus de 30 000 km, est composé de deux chemins principaux : l’un le long de la côte, et l’autre le long de la Cordillère. Ces deux routes constituaient des axes d’intégration économiques et politiques majeurs. Afin de constituer ce réseau de communication, les Incas ont utilisé en grande partie des chemins préexistants, ce qui s’est avéré absolument déterminant pour unifier cet empire immense malgré la grande diversité de peuples et de cultures qui ont été intégrés au cours des conquêtes incas. Le Qhapaq Ñan permet également de connecter des environnements naturels très variés, allant de la côte Pacifique aux zones de forêt tropicale, en passant bien sûr par les régions d’altitude de la Cordillère des Andes qu’il parcourt à parfois presque 5 000 m d’altitude. Du fait de cette importance historique, ainsi que de la richesse des vestiges archéologiques que l’on peut trouver tout au long de ces itinéraires, le Qhapaq Ñan a été inscrit en juin 2014 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco en tant qu’Itinéraire Culturel Transnational impliquant 6 pays : Chili, Argentine, Bolivie, Pérou, Équateur et Colombie.

Dans le cadre de l’expédition The American Hike qui consiste à traverser les Amériques intégralement à pied, je me suis attaché à parcourir de bout en bout le chemin andin du Qhapaq Ñan, et après avoir marché environ 3 500 km depuis Santiago du Chili, son extrémité sud, je parviens enfin à Cuzco, capitale historique de cet immense empire qui a dominé le continent sud-américain au XVIème siècle. C’est ici, au milieu de ces paysages somptueux regorgeant de vestiges et de témoignages de la culture quechua, que ce saut dans le temps prend véritablement sens, et c’est l’expérience de ce voyage temporel que je souhaite partager avec vous, loin de la cohue des itinéraires touristiques.
Bien que je l’espère utile à ceux d’entre vous qui souhaitent se rendre sur le terrain, cet article n’a pas vocation à servir de guide dressant une liste exhaustive et comparative des vestiges historiques et des itinéraires de randonnée disponibles dans la région. Je vous propose plutôt de partir en balade avec moi, pour découvrir les trésors historiques et naturels qui se sont offerts à mes yeux dans les alentours de Cuzco.
Pour découvrir cette aventure en vidéo, je vous invite à visionner les épisodes 10 « Les Couleurs des Andes » et 11 « Mon Anniversaire au Machu Picchu » de la websérie The American Hike, disponible sur Youtube !
I. En direction de Cuzco
À partir du col Abra La Raya (4 300 m) qui marque l’entrée dans la région de Cuzco, j’ai principalement suivi la route, passant par les villes de Sicuani et d’Urcos pour finalement arriver à la capitale de l’empire inca. Cette route a remplacé l’itinéraire historique du Qhapaq Ñan, dont on trouve néanmoins quelques sections préservées que j’empruntais naturellement avec grand plaisir. Par ailleurs quelques sites archéologiques et naturels intéressants se trouvent le long de cet itinéraire.

Raqchi
Dans le village de Raqchi se trouve un complexe archéologique qui présente notamment l’un des temples les plus importants de la civilisation inca, dédié au Dieu créateur Wiracocha. La distance avec Cuzco en fait l’un des sites archéologiques accessibles par la route les moins fréquentés de la région, et donc l’un des moins chers (20 soles = 4,51 euros).

La montagne Arc-en-ciel (Vinicunca)
Depuis le village de Checacupe il est possible de remonter la vallée Ausangate pour faire un détour par la Montagne aux 7 couleurs, qui depuis quelques années est devenue une attraction touristique majeure dans les alentours de Cusco. Après une courte marche de 5 km depuis le point de départ du trek, on accède à un petit sommet à 5 200 mètres d’altitude, offrant un point de vue somptueux sur la montagne Vinicunca, dont les couleurs incroyables sont dues aux sédiments accumulés depuis des millions d’années. La marche ne présente pas de réelle difficulté, mais l’altitude constitue un obstacle pour de nombreux visiteurs qui viennent ici sans être réellement acclimatés. Pour ceux qui voudraient prolonger l’expérience, il est possible de redescendre de l’autre côté par un itinéraire de 15 km à travers la Vallée Rouge pour finalement rejoindre la route de la vallée Ausangate. Bien qu’il soit possible de s’y rendre depuis Checacupe, cela nécessite de s’organiser avec les transports et les taxis locaux, et s’avère en réalité plus compliqué, et en général plus cher, que de faire le trajet avec une agence touristique depuis Cuzco.

Piquillacta et Tipón
À l’approche de Cuzco on trouve non loin de la route deux sites archéologiques qui font partie des circuits touristiques classiques proposés depuis la ville. Moi-même je ne m’y suis pas rendu, par manque de temps et d’argent, mais il semblerait que ces deux endroits présentent un véritable intérêt. À Piquillacta se trouvent les vestiges d’un centre administratif et cérémonial extrêmement important de la culture Wari, antérieure à la domination inca, avec notamment un mur d’enceinte impressionnant. Non loin de là, et d’accès libre, se trouve la porte magistrale de Rumiqullqa qui faisait partie de ce complexe de défense Wari, mais que les Incas ont repris pour marquer l’entrée dans la vallée de Cusco. Les voyageurs pratiquaient des rituels de purification avant d’y pénétrer. Un peu plus loin se trouve le site archéologique de Tipón, situé à environ 5 km de la route principale, qui était un lieu consacré au culte de l’eau.
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II. Cuzco
Cuzco est une ville exceptionnelle, qui malgré la forte affluence touristique a conservé une atmosphère authentique et joyeuse. Construite selon la forme d’un puma, elle était la capitale de l’empire quechua, le « nombril du monde », fondée par le premier Inca (empereur) Manco Cápac. On pourrait aisément la qualifier de « ville-musée » tant les vestiges historiques, monuments, et musées en tous genres y sont nombreux. Dans ce court paragraphe je m’attacherai uniquement à vous présenter les principaux sites témoignant de la période inca, sans faire mention ni de la période coloniale, qui a par exemple produit de nombreuses églises magnifiques, ni de la période moderne.

Balade dans le centre
Qu’il s’agisse de murs, de portes monumentales, ou de pavements, en se baladant dans le centre de la ville on découvre de nombreux vestiges témoignant du génie de construction inca, basé sur une grande maîtrise de la pierre. La plupart des églises datant de l’époque coloniale ont été construites sur d’anciens temples et palais incas dont on peut souvent observer les fondations. La structure même de la ville en forme de puma est représentative de ce génie de construction. À l’époque inca la ville était organisée en canchas, formant des groupes de maisons rectangulaires organisés autour d’une cour centrale, et ouverts sur l’extérieur par une unique entrée. Les murs inclinés et les ouvertures de forme trapézoïdale, portes ou fenêtres, avaient une fonction antisismique, qui est aujourd’hui devenu un signe hautement distinctif de l’architecture inca.

Parmi les lieux remarquables dans le centre-ville on peut noter :
La rue Loreto ou Intik’ijllu (« la Petite Rue du Soleil »)
Aboutissant sur la Plaza de Armas, dans laquelle on peut admirer d’un côté le mur soutenant l’Amarukancha, le palais de l’Inca Huyana Cápac, dont les pierres mal ajustées ont été remises en place par les Espagnols ; et de l’autre côté le mur du palais Akllawasi (« la Maison des Femmes Choisies » ou « Vierges du Soleil ») construit dans un magnifique style impérial dont les pierres sont parfaitement ajustées.
La rue Hatunrumiyoc (« le Lieu des Grandes Pierres »)
Célèbre pour son énorme bloc de diorite verte, appelé « Pierre aux 12 angles » à laquelle on prête des vertus énergétiques, ainsi que la rue voisine Inca Roq’a bordée des murs du palais d’Inca Roca, le 6ème empereur. À l’angle des deux rues l’assemblage des pierres est particulièrement impressionnant.
Le promontoire de San Cristobál
Constitue non seulement un point-de-vue incomparable sur la ville, mais est également bordé par le mur magistral du Qoiqanpata, le palais du premier Inca Manco Cápac.
Le Musée Inca
D’après moi le seul musée qui en vaille la peine parmi ceux que j’ai visité est le Musée Inca, qui présente une collection étendue de vestiges d’artisanats pré-colombiens (incas et autres) organisés en salles thématiques permettant de se familiariser avec cette civilisation de manière variée et intéressante.

Le Qoricancha (« Enceinte Dorée »)
Le Qoricancha, qui était un temple immense dédié au culte du dieu le plus important de la cosmogonie inca, Inti, le dieu soleil, était le lieu le plus sacré de tout l’empire. Il a été construit vers 1440 sous le règne de l’Inca Pachacútec, qui est à l’origine des édifices les plus emblématiques de la civilisation inca (comme le Machu Picchu), ainsi que de l’élan d’expansion guerrier le plus significatif de l’empire. Sous la domination espagnole le temple a été en grande partie détruit, et les pierres réutilisées pour construire l’église Santo Domingo sur le même emplacement. Ne reste plus aujourd’hui que le mur d’enceinte et quelques vestiges architecturaux. Le musée du Qoricancha, situé en-dessous de la plaine où se trouvait auparavant le temple, est en réalité assez pauvre dans son contenu et vieillot dans son organisation.

Les hauteurs de Cuzco
Sur les hauteurs de Cuzco il existe 4 sites archéologiques extrêmement intéressants auxquels on peut accéder avec un unique billet valant 70 soles (15,79 euros). Il est tout à fait possible de rallier ces différents sites à pied en faisant une boucle, ou de prendre un bus vers le site plus éloigné (Tambomachay) pour redescendre vers la ville en passant par les différents lieux d’intérêt, ou bien enfin de rallier ces différents lieux en bus. Quelle que soit l’option retenue, une après-midi est suffisante pour visiter ces 4 sites, situés à seulement quelques minutes du centre-ville.

Tambomachay
Tambomachay était un lieu consacré au culte de l’eau. L’Inca venait s’y reposer loin de l’agitation de la capitale, mais proche en distance. De part la finesse de construction des édifices il ne fait aucun doute qu’il s’agissait d’un lieu important.

Puka Pukara
Toute proche de Tambomachay cette colline fortifiée était un poste de contrôle militaire qui défendait l’entrée de la vallée de Cuzco. Elle servait également d’auberge collective pour les troupes de l’Inca quand celui-ci résidait à Tambomachay. En redescendant à pied, suivre la route puis bifurquer à gauche sur un chemin en direction du Temple de la Lune. Ce chemin est en réalité la branche du Qhapaq Ñan (« Chemin Royal ») de la partie Est de l’Empire, l’Antisuyu, qui permettait de connecter Cuzco à l’Amazonie en passant par la ville inca de Pisac.

Q’enqo
Q’enqo était un lieu cérémoniel dédié à l’observation astronomique. Il est composé d’une place et d’une colline de granite creusé. La place cérémonielle, en dehors de la signification symbolique de ces différents composants, servait de calendrier solaire. Quant à la grotte aménagée au sein même de la colline, elle représentait le cœur de la Pachamama (« la Terre-Mère ») où étaient pratiqués des sacrifices de lamas et des rites de momification. Cette partie du site a été condamnée par les Incas à l’arrivée des Espagnols, et est donc restée intacte jusqu’à nos jours.

Saqsaywaman
Également construit sous l’Inca Pachacútec, il s’agit d’un site extrêmement important qui présente les constructions mégalithiques les plus impressionnantes de la civilisation inca. Pour construire la Cuzco coloniale les Espagnols ont largement utilisé les pierres de Saqsaywaman, raison pour laquelle on considère que les vestiges actuels ne représentent qu’environ un cinquième du site d’origine, ce qui permet aisément de concevoir l’ampleur exceptionnelle de cette « ville-haute ». Elle a été construite à l’emplacement de la tête du puma dessiné par la structure de la ville antique, ce qui permet également de souligner son importance symbolique. Il s’agissait en réalité du quartier sacerdotal de Cuzco, où les prêtres exerçaient le culte des différents dieux, comme Inti, le dieu du soleil, ou les Apus, les montagnes sacrées. La deuxième fonction de ces édifices, similaires à une forteresse en matière de structure et d’architecture, consistait à protéger la ville en contrebas. En dehors de l’Inti Raymi (« la Fête du Soleil« ), qui peu après le solstice d’hiver était la célébration la plus importante du calendrier inca, seule une partie privilégiée de la population avait accès à ce lieu. Depuis quelques années, et suivant un retour populaire à la culture quechua, l’Inti Raymi est à nouveau célébré sous une forme théâtrale, dont la partie principale prend toujours place à Saqsaywaman.

III. De Cuzco à Ollantaytambo
Après une grosse montée pour sortir de la ville, j’ai emprunté sur cette partie de l’itinéraire de petites routes de campagne, souvent en terre, pour rallier différents sites d’intérêt comme Chinchero, Maras et Moray. Enfin pour arriver à la ville inca d’Ollantaytambo j’ai suivi un sentier à travers la montagne, une marche rythmée par la découverte de différents sites antiques et qui fait l’objet du paragraphe « Itinéraire de la Porte du Soleil ».

Chinchero
Le site de Chinchero présente la particularité intéressante d’offrir un contraste riche de sens entre, d’une part une très belle église coloniale, et d’autre part les vestiges archéologiques incas. Ce lieu était principalement dévolu à la pratique agricole qui s’exprime dans le paysage par les terrasses construites sur le versant de la colline. Mais compte tenu qu’il s’agissait d’un lieu de villégiature pour l’Inca Tupac Yupanqui, on y trouvait également palais et lieux de culte. L’attrait de Chinchero ne se limite cependant pas à son patrimoine historique, car c’est un des lieux touristiques à privilégier pour découvrir une culture andine bien vivante, à travers son artisanat textile et culinaire (ne pas manquer de goûter le fameux cuy, soit… du cochon d’Inde !), ou simplement en se baladant dans les rues charmantes de ce village blanc, dont les maisons sont construites en adobe.

Maras et les salines
Jusqu’à récemment le gros village de Maras n’était absolument pas un passage obligé sur les circuits touristiques, et cela malgré son importance historique due à la position stratégique qu’il occupait sur les voies d’échange entre Cuzco et la Vallée Sacrée. On peut notamment y découvrir de très nombreux portails sculptés avec finesse, et désormais classés au patrimoine mondial de l’Unesco, qui lors de la période coloniale permettaient aux familles de la noblesse d’exposer leur richesse sur le fronton même de leur maison. Mais si Maras est célèbre aujourd’hui c’est avant tout grâce aux salines situées en contrebas du village, auxquelles on peut accéder par un petit sentier de randonnée. Quelques 200 familles vivent encore aujourd’hui de la production de sel de ces 3 000 bassins aménagés sur le flanc de la colline, et exploités depuis plusieurs milliers d’années. Mais c’est grâce au tourisme que cet endroit connaît maintenant un nouveau souffle, les visiteurs étant attirés par le paysage si particulier qu’offrent ces salines.

Les terrasses de Moray
À seulement quelques kilomètres de Maras se trouve le site archéologique de Moray, qui, tout comme les salines, est devenu extrêmement célèbre pour le paysage si particulier que l’on y découvre. Les Incas y ont en effet aménagés des terrasses circulaires dans des cratères de météorites, afin d’y pratiquer une agriculture expérimentale en recréant de manière artificielle des conditions climatiques variées selon la position et l’altitude de ces terrasses. De cette manière ils pouvaient en un même endroit cultiver aussi bien des essences provenant de la forêt amazonienne que de l’altiplano, dans le but d’améliorer les semences et les techniques agricoles.

Itinéraire de la Porte du Soleil
Depuis Moray je continue vers le Nord en empruntant la piste, puis un petit sentier descendant à pic pour ensuite remonter par la route vers le petit village de Soqma. De là débute véritablement le parcours de randonnée, qui commence en s’élevant vers les ruines de Perolniyoc, d’où l’on profite d’un point de vue inégalable sur la vallée en contrebas. Mais l’ascension n’est pas terminée pour autant, avec plus de 1 200 m de dénivelé positif entre Soqma et le passage du premier col. L’itinéraire se fait ensuite plus plat dans un environnement de montagne offrant de très belles vues sur le Mt Verónica, de l’autre côté de la Vallée Sacrée. C’est vers cette vallée qu’il faut ensuite redescendre par un petit sentier très abrupte une fois le deuxième col passé. Sur une crête exposée se trouve Inti Punku (« la Porte du Soleil« ) d’où le chemin bifurque pour redescendre vers Ollantaytambo en passant par le site militaire inca de Choquetacarpo, puis par la carrière de Ccachiccata, d’où ont été extraites les pierres utilisées pour la construction d’Ollantaytambo.

Ollantaytambo
Édifiée vers 1440 par le fameux Inca Pachacútec, Ollantaytambo avait pour destinée de devenir un centre agricole, militaire et cérémoniel extrêmement important, situé à un endroit stratégique à la confluence des rios Vilcanota et Patacancha, et à l’entrée de la Vallée Sacrée au bout de laquelle se trouve le célèbre Machu Picchu, porte d’accès à l’Amazonie. Bien que non achevée à l’arrivée des conquistadores, la qualité des édifices est la preuve de l’importance première que devait à terme occuper cette ville. Deux sites archéologiques y sont particulièrement remarquables. Tout d’abord le site le plus visité est celui où se trouve le magnifique Temple du Soleil, unique de par sa structure parmi les vestiges incas dont nous avons connaissance. Mais bien plus, ce site, reconnaissable de loin par sa grande volée de terrasses, est un complexe extrêmement important composé de forteresses militaires, de constructions agricoles et de temples en tous genres. Sur le versant de la montagne opposé, de l’autre côté du village, se trouve le site de Pinkuylluna dont les différents bâtiments avaient une fonction agricole ou militaire. Enfin, en plus de ces deux sites archéologiques, Ollantaytambo nous offre l’opportunité extraordinaire de se balader dans un village ayant conservé sa structure inca, organisée en axes transversaux et en groupes de maisons appelés canchas. Alors que ces canchas ont par exemple complètement disparu à Cuzco suite à la reconstruction de la ville par les Espagnols, il s’agit probablement du seul endroit au Pérou où un tel saut dans le temps est possible. Aujourd’hui Ollantaytambo est l’un des hauts lieux touristiques de la Vallée Sacrée, d’où tous les jours des centaines de visiteurs prennent le train pour Machu Picchu.

IV. D’Ollantaytambo à Machu Picchu
Camino Inca
Le Camino Inca, à ne pas confondre avec le Qhapaq Ñan (« Chemin Royal ») qui désigne le réseau de chemins qui s’étendait dans tout l’Empire inca, est un itinéraire d’environ 40 km menant au Machu Picchu par le cœur de la Vallée Sacrée, seul accès à une nature rare et à des sites incas absolument uniques. Il s’agissait probablement du trek le plus fréquenté d’Amérique du Sud, du moins jusqu’à ce que le gouvernement péruvien sous la pression de l’Unesco ferme l’itinéraire au grand public pour obliger les visiteurs à passer par une agence « accréditée », les déboursant de 400 dollars pour 4 jours avec les services de guides, cuisiniers, et portage à dos d’homme. Soit l’équivalent du salaire mensuel moyen au Pérou. Dans ces conditions on saisira aisément le problème de sélection sociale qui prive toute une partie de la population de l’accès à ce parc naturel et archéologique, le Santuario Histórico de Machu Picchu, qui tient pourtant du bien public. Moi-même, et cela malgré ma condition privilégiée par rapport à la population locale, j’en ai été privé pour ces raisons. Je n’ai donc ni photo ni descriptif à vous proposer, mais je vous invite à prendre position pour que ce bien culturel de l’humanité redevienne accessible à tous, et en particulier à ceux dont il s’agit de l’Histoire.

Par la voie de chemin de fer
Ne pouvant accéder au Camino Inca j’ai donc emprunté le chemin longeant la voie de chemin de fer, qui est le seul autre moyen de se rendre au village-départ du Machu Picchu, Aguas Calientes. La route partant d’Ollantaytambo s’est rapidement transformée en piste de terre, et la piste de terre en sentier à partir de Piskacucho, point de départ du Camino Inca sur la rive Sud du Rio Urubamba. De l’autre côté du fleuve l’itinéraire longeant le chemin de fer m’a mené à la découvertes de quelques trésors archéologiques, et surtout d’une forêt tropicale à la biodiversité incroyable, qui m’a complètement fait oublier la déception du Camino Inca. De Piskacucho à Aguas Calientes l’itinéraire est d’environ 35 km, devenant à mi-chemin un petit sentier le long de la voie ferrée où passent les trains touristiques. Mais cela ne s’avère finalement que peu dangereux pour peu que l’on fasse preuve de prudence, car les trains se voient et s’entendent de très loin, et la bonhommie tranquille de leurs wagons lustrés sortis de l’âge d’or des grands express laisse amplement le temps au marcheur de se ranger sur le côté. Aguas Calientes est le village le plus touristique au Pérou du fait de sa proximité avec le Machu Picchu. Bon camp de base pour aller visiter la Merveille du Monde qui se tient juste au-dessus, mais ne mérite pas de s’y attarder.

Machu Picchu
Il ne me semble pas qu’il y ait besoin d’ajouter beaucoup de mots à ce simple nom pour évoquer dans votre esprit la merveille de génie humain dont je veux parler, et dont même l’affluence touristique atteignant les 3 300 visiteurs par jour n’a pas réussi à me ternir la rencontre émue, d’autant plus forte que portée par la fierté d’être arrivé ici à pied après plus de 8 000 km. On ne sait pas vraiment ce qui a provoqué la construction de la plus belle œuvre de la civilisation inca, mêlant dans une parfaite harmonie l’architecture humaine avec l’environnement naturel dans laquelle elle se trouve et duquel elle s’imprègne. D’innombrables hypothèses émises d’un côté et de l’autre se bataillent ce terrain : ville dédiée aux Vierges du Soleil, forteresse destinée à l’invasion de l’Amazonie, site sacré d’astronomie, etc. Probablement un peu de tout ça à la fois. Devant un tel spectacle il vaut peut-être mieux s’arrêter un instant de penser pour pouvoir s’imprégner paisiblement du lieu.

V. De Machu Picchu à Choquequirao
Choquequirao est souvent considérée comme la petite sœur de Machu Picchu. Il s’agit également d’une cité inca perdue sur une montagne, au milieu de la jungle péruvienne d’altitude, appelée forêt des nuages. Moins connue que sa célèbre consœur, on ne peut y accéder qu’à pied, en traversant cet environnement exigeant. Il m’a semblé logique de rallier ces deux sites incas exceptionnels que sont Machu Picchu et Choquequirao, en utilisant les nombreux itinéraires de randonnée qui existent dans la région.

Partie Nord du Salkantay Trek (40 km)
D’Aguas Calientes je pars vers l’Ouest en suivant la voie ferrée, pour arriver après quelques kilomètres à la « centrale hydroélectrique » où se trouve le terminus du train. Beaucoup de visiteurs empruntent ce court itinéraire pour arriver à Aguas Calientes en évitant de payer le transport en train. De là je prends une variante du Salkantay Trek qui est une randonnée très fréquentée, notamment par des groupes avec guide, passant plus au Sud au pied du magnifique Mt Salkantay (6 271 m). Cet itinéraire débute presque directement par une montée à pic pour atteindre les ruines incas de Llactapata (« ville au sommet » en quechua), qui était un site religieux. De là on profite d’une vue exceptionnelle sur la montagne alentour, et même sur le Machu Picchu que l’on aperçoit au loin. Il s’agit ensuite de redescendre de l’autre côté vers la vallée du Rio Salkantay. Tout au long de cet itinéraire on trouve de nombreux campings pourvus de petites épiceries, et sur cette partie en particulier proposant même du café artisanal récolté, séché et moulu sur place. Depuis le passage de la rivière Salkantay il s’agit de remonter toute la vallée en direction de la montagne du même nom. La montée est régulière et la marche très agréable dans une forêt surplombant la rivière en contrebas. Seuls viennent quelque peu gâcher le plaisir, de petites moucherons suceurs de sang qui abondent sous la barre des 2 000 mètres. Une fois arrivé à Collpapampa, je bifurque vers le col Yanama au lieu de continuer sur l’itinéraire du trek.

Passage du Col de Yanama (25 km)
De Collpapampa une route de terre s’élève vers le col Yanama à 4 600 m d’altitude. Il s’agit de l’emprunter jusqu’au petit village de Totora où l’on trouve un camping et une épicerie. Peu après le village apparaît un sentier qui se sépare de la route pour suivre un itinéraire plus direct pour la plus grosse partie de l’ascension. Une fois le col passé, le sentier continue en descente régulière de manière similaire à la montée, à travers un paysage de montagne assez classique, jusqu’au village de Yanama où l’on trouve également campings et épiceries.

Trek de Choquequirao (40 km)
À Yanama l’itinéraire vers Choquequirao bifurque vers le Sud pour passer un premier col, le Paso San Juan. Alors que la végétation est assez sèche sur le versant Nord, on redescend du côté Sud au milieu d’une véritable forêt tropicale, en empruntant un chemin inca pavé dans la partie haute, et souvent très boueux… Attention à la glissade ! Ne pas sous-estimer cette partie du parcours, même dans le sens de la descente. Elle s’avère en effet particulièrement exigeante avec 2 200 mètres de dénivelé en moins de 10 km jusqu’au Rio Blanco au fond de la vallée. Au milieu du flanc montagneux, perché sur un nid d’aigle, se trouve Maizal où l’on peut s’arrêter dans l’un des deux campings. Une pause salvatrice pour beaucoup, en montée comme en descente, et une meilleure option que le campement libre que l’on trouve au bord de la rivière en contrebas, envahi par les insectes. Une fois le Rio Blanco passé on remonte directement de l’autre côté pour gravir les 1 400 mètres qui mènent au col Choquequirao. De là le plus difficile est fait, et il suffit de redescendre vers la ville inca. À partir du site archéologique l’itinéraire redevient touristique avec la présence de nombreux campings, épiceries et comedores (petits restaurants) sur le chemin. Mais les difficultés ne sont pas complétement terminées pour autant, car il s’agit maintenant de descendre au fond du canyon du Rio Apurimac pour remonter de l’autre côté, soit 1 500 mètres de dénivelé de chaque côté. Le Mirador de Capuliyoc signe la fin de l’itinéraire avec l’apparition d’une route et la possibilité de se rendre à Cuzco en minibus. Autrement, il est également possible de se rendre à pied au village de Cachora à 10 km de là, et sur un terrain relativement plat, pour une fois !

Choquequirao
Bien que d’une ampleur bien moindre que le Machu Picchu, Choquequirao présente de véritables atouts, dont le principal étant sans aucun doute sa fréquentation extrêmement basse, avec environ 30 visiteurs par jour (en 2018). Cela permet de profiter tranquillement des lieux, où l’on trouve de véritables merveilles architecturales comme les Lamas du Soleil et certains édifices conservés de manière exceptionnelle. Le tout dans un écrin naturel qui, tout comme au Machu Picchu, s’harmonise parfaitement avec l’œuvre humaine. C’est pourquoi en arrivant dans ce lieu préservé et isolé, on est saisi d’un sentiment de plénitude mêlé à un élan d’aventure, tel un explorateur découvrant une cité perdue au milieu de la jungle péruvienne… Sentiment qu’il est bien difficile de saisir au Machu Picchu, du fait de sa fréquentation touristique excessive. Un projet de téléphérique au-dessus du canyon Apurimac a pour but d’ouvrir ce site à la même foule de touristes d’ici quelques années. Il ne faut donc pas trop tarder pour profiter de l’ambiance unique que l’on respire au milieu des vieilles pierres de ce site inca exceptionnel.

Ainsi s’achève cette virée historico-culturo-naturelle en pays inca, en espérant que ce compte-rendu, bien que non exhaustif, soit utile aux explorateurs que vous êtes. Et bien sûr, j’ose espérer que cela vous donne des envies de randonnée pour refaire ce circuit à pied, du moins en partie ! C’est toujours meilleur quand on prend son temps paraît-il…
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